Roy Bean et Guns Frontier

Le 4 juillet 1876, en fin de matinée, le juge Roy Bean, suivi de son fidèle plantigrade, distinga les premiers signes annonciateurs de Guns Frontier.

Il imposa à son cheval une allure moins rapide afin d'observer attentivement l'endroit où il allait pouvoir exercer ses talents.

Il s'arrêta et, tout comme son ours Bruno, huma l'air ambiant.

*Et maintenant, à moi de jouer...*

Il crut apercevoir deux silhouettes qui le scrutaient et semblaient attendre sa décision.

Allait-il avancer vers eux ? Rebrousser chemin ?

Nombre de messages : 9 Date d'inscription : 17/03/2008

Matthew et Pete étaient assis depuis le levé du jour au poste de garde Sud. Pete était arrivé le premier. Matthew, traînant un peu les pieds, en second. C'était lui qui était chargé d'apporter le café afin qu'ils se tiennent tous les deux éveillés. Les nouveaux horaires qu'imposait Ace O'Leary, leur maire actuel, étaient de plus en plus harassants.

Sous ce soleil de plomb, au milieu de ce désert immense, ils n'avaient vu personne entrer depuis leur arrivée et se plaignaient ainsi d'avoir à supporter le poids des heures ainsi que de la solitude... Personne ne venait plus pour leur dire bonjour ou même pour passer du temps avec eux, histoire de bavarder... Les ordres étaient stricts : aucun gardien ne devra être distrait de sa mission. Et les deux compères qui adoraient boire un coup avec d'autres camarades... c'était raté.

Pete dormait à moitié, sa chaise basculée en arrière et coincée conrte la petite cahute de bois qui servait de poste frontière. En face de lui, Matthew était debout, appuyé contre le mur de sa propre cahute, observant les alentours. Quelque chose avait manifestement attiré son attention...

"De quoi ?", marmonna le grand Pete, et son regard se porta sur ce qu'observait son compatriote -un petit brun à la barbe broussailleuse.

Un cavalier arrivait... mais pas seulement un cavalier ! Un animal était à sa suite ! Un gros ours, tout pataud, qui suivait bon gré mal gré son maître bien planté sur son cheval... sans trop savoir pour autant comment le monter, observa Matthew.
Les deux hommes se tinrent alors debout, comme au garde-à-vous. Pete cala solidement sa carabine entre ses mains, Matthew fit de même.

Le grand blond qu'était Pete attendit que l'homme soit à sa hauteur pour le détailler de long en large. Ses sourcils se fronçèrent tant il était sceptique. Un bref regard à son camarade et celui-ci grogna, s'approchant du visiteur.

"Nom et raison de votre venue !", annonça Matthew d'un ton bourru. Pour se donner consistance, il frappa doucement le canon de son arme dans sa main droite. Pete laissa un sourire s'attarder sur ses lèvres...

Au loin, derrière les deux cahutes de bois, derrière le dos de ces messieurs, se dessinaient les abords de la ville aux toits de bois ou de tuiles, aux murs de pierre dans des tons pastels et chauds. Guns Frontier semblait d'ailleurs entourée d'une grande et haute ceinture de barbelés et de poutres.

Le Juge arrêta son cheval.

Il observa attentivement ses deux interlocuteurs afin de mieux les jauger.

Manifestement, les deux hommes qui le fixaient ne possédaient sûrement pas les capacités intellectuelles qui leur permettraient de lutter à armes égales avec lui...

Les carabines ne l'impressionnaient pas.

Hommes et armes avaient l'habitude de se taire lorsque le Juge prenait la parole...

L'ours Bruno se rangea sagement au côté de son maître, semblant attendre un ordre.

Solidement planté sur ses quatre pattes, il était déjà plus qu'impressionnant.

Roy Bean esquissa un sourire en pensant à la tête que feraient ces deux paysans s'ils voyaient Bruno dressé sur ses pattes arrières...

Debout, Bruno mesurait plus de trois mètres et son poids de plus d'une tonne en avait découragé plus d'un...

Repoussant légèrement son chapeau en arrière d'un air las, le Juge Roy Bean daigna leur adresser cette réponse :

"Je suis le juge Roy Bean".

Estimant cette réponse plus que suffisante quant à l'objet de sa venue, il cala ses deux mains sur le pommeau de sa selle et attendit.

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Le juge avait, en effet, raison. Le visage légèrement hilare et niais qu'affichait Pete s'effaça en un instant tandis que Matthew, sous son air revêche, laissa apparaître quelques signes de crainte. Ce dernier frissonna, resserrant un peu plus ses mains sur sa carabine tandis que son regard se portait sur celui de son compagnon, qui avait cessé de jouer avec son arme...
Pete, sentant que c'était à lui que revenait le devoir de répondre, déglutit grossièrement, ravalant une grosse boule de glaire qu'il aurait bien aimé recracher.

"Ouais... Roy Bean", et son regard peu décidé jaugea l'animal docile. Il tâcha de se redresser afin de faire meilleure figure.

"Roy Bean, hein ? Le juge. Ouais, on a entendu parler de vous -il esquissa un bref geste vers l'ours-. C'est votre... votre... enfin c'est votre animal de compagnie ?".

Matthew s'approcha doucement de la bête et très précautionneusement, vérfiant si ce qu'il avait sous les yeux était bien l'animal auquel il pensait. L'ours releva brièvement la tête et fit bondir d'effroi le jeune homme, reculant derrière son compagnon.

"Fau.... faudrait qu'on sache, M'sieur Bean, ce que vous venez faire à Guns Frontier a-avant d'vous laisser entrer...".

"C'pas qu'on veuille pas ! C'qu'on a des règles, nous !, rembraya Pete, l'maire nous laissera pas vous faire passer sur vot' bonne foi !".

Et Matthew d'accorder un léger sourire insistant à cet étrange visiteur :

"Z'êtes p't'être là pour l'nouveau tribunal, nan ?".

"Ch**rie ! Les nouvelles vont vite !".

"Pour sûr !".

Les deux hommes eurent un rire nerveux et grinçant, espérant que quelque chose -n'importe quoi même !- vienne à rompre ce silence oppressant. Ce fut Matthew le plus courageux :

"Tsst... des c***ries ! Un tribunal...", et il leva les yeux au ciel bien vite rejoint par Pete.

"La loi c'est la loi... qu'ce soit dans un tribunal ou dans une ferme, nan ?".

Leurs rires repartirent à nouveau mais ne s'arrêtèrent pas cette fois-ci, espérant de tout coeur que le juge viendrait, lui aussi, à prendre part à la plaisanterie.

Le juge soupira devant si peu de résistance.

Il ne prit pas part à l'hilarité générale et décida d'attendre que la bonne humeur forcée de ses deux interlocuteurs cesse enfin.

Il ne s'abaissait jamais au niveau du commun des mortels.

Il se tourna vers son ours qui gardait un calme parfait, se contentant de tendre son mufle vers les deux gardes.

La vague de rire se calmant enfin, le Juge crut bon d'apporter quelques précisions :

"Sachez, Messieurs, que le plantigrade qui m'accompagne n'est pas mon animal de compagnie, mais mon associé.

Rien de tel qu'un tête-à-tête avec Bruno pour délier les langues les plus récalcitrantes.

Apprenez également que Bruno excelle dans l'éxécution de certaines sentences.

Vous voila renseignés, non ? "

Il soupira de lassitude et, lançant un regard peu amène aux deux individus, leur murmura, avec un sourire inquiétant :

"A votre avis, pourquoi le Juge Roy Bean s'est-il déplacé jusqu'ici ? "

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Un plante-qui-quoi ? Qui gratte ? Pete jeta un regard intrigué en direction de Roy Bean puis en direction de son "associé", comme il l'appelait. Comment pouvait-on s'associer avec un ours ? Ce type n'avait vraiment rien dans la crâne ! Ou alors était fou !
Matthew, quant à lui, ne se permit aucune remarque et se contenta de sourire. Il savait ce que l'on disait à propos de ce "Juge Bean" et le croyait aisément lorsqu'il disait que "Bruno" savait excellement bien exécuter certaines sentences... Oui, c'était sûr ! Pour lancer un ours derrière un homme, il fallait être sérieusement toqué.

Et voila qu'à présent cet homme voulait investir Guns Frontier. Qu'allait penser le maire ? Monsieur "Aimons-nous-les-uns-les-autres" -pire que son vieux, celui-là...- lorsqu'il allait apprendre que le célèvre Roy Bean se tenait aux portes de sa ville dans le seul et unique but d'y devenir juge ? Oh ! il aurait aimé être là pour voir la tête de ce freluquet de 22 ans lorsque cet immonde gaillard allait lui annoncer la nouvelle... Niegel, son secrétaire, lui en toucherait sans doute quelques mots. Quelle limace, celui-là ! Quand il fallait baver, il n'était jamais le dernier...

Pete s'avança courtoisement vers l'homme -c'est-à-dire en essayant d'adopter une posture plus proche de celle de l'humain que de l'ours...- et lui souhaita aimablement la bienvenue. Il embraya par la suite :

"Mais avant, faudrait qu'vous laissiez vous armes ici ! La règle est la même pour tout le monde : pas d'armes à Guns Frontier ! C't'une ville pacifiste (il marqua le dernier mot en agitant ses doigts, comme pour des guillemets), alors personne y porte d'armes ! C'comme ça !".

"Et-et-et même qu'le maire baahh l'essaye d'être pote 'vec les peaux rouges !".

"Ca va, Matthew. Tais-toi ! Va plutôt chercher le coffre et va voir pour... -il baissa d'un ton- tu-sais-quoi...".

L'autre le fixa sur des yeux marqués par l'incompréhension et le vide. Pete frappa du pied contre le sol.

"Mais vas-y ! File chercher le coffre pour les armes ! Et va voir pour les affiches, quoi !

Raaahh !! Faut tout lui dire !!".

Matthew lui lança un regard assassin puis se détourna de lui en direction de la cahute située sur la droite. Il en ferma la porte. Pete prit un air exagérément et profondément excédé, puis rétorqua à l'intention de Roy :

"Alors comme ça, z'êtes intéressé par Guns Frontier ?".

Il gloussa bêtement, étouffant un rictus niais d'une main pâteuse.

"Z'allez voir, M'sieur, y a plus grand monde ! Depuis qu'y a Ace Machin-Chouette là, l'Irlandais de... Ouais ! Heureusement qu'z'êtes là pour remettre de l'ordre, M'sieur !".

Il accompagna sa dernière phrase d'un hochement de tête digne, tandis qu'il était aussi raide qu'un petit soldat à la parade. A présent il était tout attentif à la réponse du juge...

Le Juge Roy Bean commençait, sans le montrer, à sérieusement s'impatienter.

Il était là, sur son cheval (alors qu'il n'appréciait pas plus que ça ce genre de transport), sous un soleil de plomb, à attendre le bon vouloir de deux paysans baptisés "gardes" par Dieu-seul-sait quel petit politicard s'étant lui-même dclaré Maire ou autre chose que ce soit.

Pendant que Matthew se mettait en quête du coffre, le Juge s'adressa à Pete avec un air de confidence.

Il se pencha sur sa selle, mettant ainsi son visage (presque) à la hauteur de Pete, tandis que Bruno ne quittait pas Matthew du regard et guettait son retour.

"Dites-moi, jeune homme, ai-je bien compris ce que vous venez de me dire ?"

Il se redressa lentement, releva la tête et tendit une main vers les fontes de sa selle.

"Vous m'avez bien demandé de vous remettre mes armes, non ?"

Ses yeux fixaient son adversaire.

Son regard n'annonçait rien de bon.

"Je vous pose la question pour la deuxième fois : vous m'avez bien demandé de vous remettre mes armes, non ?".

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"J-j-je... o-oui...

C'est c'qu... qui f-faut...".

Au même instant Matthew revint, traînant derrière lui un coffre lourd et volumineux, aux charnières et au verrou bien solides. Il tirait l'objet, soulevant des nuages épais de poussière, poussant sur ses jambes et manquant plusieurs fois de tomber. Une fois totalement redressé il considéra le juge les deux mains calées sur sa ceinture, la tête penchée sur le côté dans une expression dubitative.

"Faut qu'z'alliez déposer vos armes, c'est la règle, M'sieur !".

Pete se tourna vivement vers lui, agitant sa main en douce afin de le faire taire. Le grand gaillard répondit à sa suite :

"C'pas d'not' faute ! C'est l'maire qui veut ça ! Nous on y est pour rien ! S'vous voulez vous expliquer, on peut l'faire venir !".

"Pete !!".

"Bah quoi ? C'est pas lui l'grand patron ? L'est maire alors, peut bien venir...".

Et Matthew de se tortiller les mains. Il commençait vraiment à avoir chaud sous ce damné soleil. C'était suffoquant... Son regard croisa l'ours Bruno une seconde fois et son échine en frissonna rien qu'en constatant que la bête ne le quittait plus des yeux.

"Euuhh... on va le faire v'nir, finit-il par rétorquer, il devrait po être loin, c'juste une question d'minutes !

Si... si vous voulez bien attendre moi, j'y cours !".

Pete appuya son idée d'un léger signe de tête. Il en revint ainsi à son compagnon et son regard se fit tellement insistant que, pour une fois, Matthew sembla comprendre le sens de sa demande.
Il n'attendit pas une seconde de plus, remonta ses bretelles et commença à clopiner en direction de la ville. Une fois qu'il eut dépassé les cahutes, il courut comme un dératé. Le grand Pete n'avait plus que son beau et charmant sourire aux dents manquantes à offrir au juge.

"Héhé, z'allez voir ! R'viendra vite !

D'puis qu'il est tout p'tit il court plus vite qu'toute le monde ! Une vraie locomotive !".

Pour la peine, Pete se laissa aller à un rire gêné...

En regardant Matthew s'éloigner à toutes jambes pour aller chercher "le Maire", Roy Bean songea qu'il allait enfin pouvoir discuter avec quelqu'un qui serait un peu plus à la hauteur de ses capacités intellectuelles.

Il esquissa un sourire.

Un Maire...

S'il était à l'image des deux imbéciles à qui la garde des limites de la ville avait été confiée, la partie était gagnée d'avance.

Il était un peu déçu.

Malgré son apparente patience, son esprit fonctionnait à toute vitesse.

Il pouvait faire face à toutes les situations et apporter des réponses sans appel à la plus petite question.

Son éloquence et son art de tourner n'importe quelle situation à son avantage en avaient floué plus d'un.

Bruno, quant à lui, surveillait Pete en faisant entendre, de temps en temps, un grognement sourd.

Le regard lointain, le juge s'adressa à son ours d'un ton calme :

"Patience, Bruno. Patience... Nous attendons le Maire..."

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Pete trépignait sur place, se dandinant d'un pied sur l'autre, terriblement mal à l'aise. Apparemment Matthew mettait du temps à revenir... Encore fallait-il tirer l'autre de son lit, songea amérèrement ce grand dadet blond, à dormir comme une marmotte, c'est sûr, il ne devait pas être très au fait de ce qui se passait dans cette ville. Il s'attendait d'ailleurs à le voir en pantoufles, baillant aux corneilles, un pyjama sur le dos et les cheveux en bataille.

Le juge, quant à lui, ne paraissait pas manifester autant d'impatience et il se demanda même comment il pouvait rester aussi calme. Le silence était pesant, rythmé par les grognements et respirations haletantes de la bête à côté de lui. De temps à autre son maître l'observait, certainement pour qu'il ne croque pas le pauvre gardien qu'il était...

Il voulut entamer la conversation mais l'air particulièrement antipathique de Roy Bean l'arrêta aussitôt. De temps à autre il jetait un regard par-dessus son épaule. Et, puisqu'il fallait bien tenir son rôle, il se tourna vers le juge, les yeux plissés à cause du soleil :

"Z'êtes sûr qu'vous voulez pas déposer vos armes ?

Parce que, si z'êtes réticent, vous repartez direct d'là d'où vous venez ! C'la loi ! Moi j'fais pas la loi !".

Il hocha doucement la tête, d'un air assez navré et découragé. Jamais il n'était tombé sur adversaire plus corriace ou, quand c'était réellement le cas, ils les prenaient et le secouait comme des pruniers, et suffisamment fort pour que toutes les armes tombent. C'était pas des blagues !

Mais ce jour-là, il ne savait d'ailleurs pourquoi, il n'avait pas vraiment envie de venir secouer le juge Bean comme un prunier... Peut-être était-ce à cause de sa dégaine peu charitable, de la bestiole qui le suivait ou encore du fait qu'il venait de gentiment porter sa main à la sacoche de sa selle ?

De tout son coeur il espérait que Matthew revienne tandis qu'il se rognait les ongles, jetant des coups d'oeil inquiets en arrière. Et, comme s'il y avait bien un Dieu sur Terre pour Pete Donovan, il vit arriver à travers une brume de poussière deux silhouettes distinctes, dont l'une était plus petite et trapue que l'autre.

"Ohh mon Dieu, merci..., souffla-t-il en douce, pour une fois, j'suis content de les voir ces deux-là !".

Et il en revint à Bean. Cette fois-ci il avait une bonne raison de s'adresser à lui.

"Matthew r'vient 'vec le maire ! Sont là-bas !".

Et il désigna d'un geste fier et prétentieux les deux hommes qui s'approchaient d'eux.

Roy Bean regarda les deux silhouettes que Pete lui désignait.

Plissant les yeux afin de se protéger du soleil, il pu distinguer, à travers les nuages de poussière soulevés par leurs bottes, les deux hommes qui se dirigeaient vers lui.

Bruno avait redressé la tête, dans un signe de menace.

Le Juge tentait de jauger son futur adversaire, mais le peu qu'il pouvait apercevoir ne le renseignait pas plus que ça.

Se tournant lentement vers Pete, le seul interlocuteur qu'il avait à sa disposition, il prononca d'un ton ironique :

"Ainsi, voila votre Maire..."

Bruno faisant entendre des grognements de plus en plus menaçants, le Juge ajouta, en souriant :

"Allons, allons, Bruno, il ne s'agit que d'un Maire."

Il se cala dans sa selle, prêt à la joute.

Ace faisait ce qu'il appelait sa "promenade matinale". Tous les matins il se levait, s'habillait en vitesse, prenait un morceau de pain à la volette en guise de petit déjeuner puis descendait dehors... sans pour autant avoir pris le temps de correctement rentrer sa chemise dans son pantalon ou d'avoir posé le bon pied dans la bonne botte.

Il voulait voir le soleil poindre le bout de son nez et appréciait l'aurore aussi bien que la lumière poudreuse et tamisée qu'elle diffusait sur les maisons de rouille et d'ocre. Cette atmosphère offerte à Guns Frontier était comme un véritable tableau et l'émerveillait un peu plus chaque instant. Jamais il n'aurait pu croire qui ville quasiment morte pouvait être aussi vibrante...

Oui il ne fallait guère se le cacher. La moitié de la population l'avait déserté depuis son arrivée et laissait dans les rues des commerces vides et éseulés, des fermes avoisinnantes abandonnées, des champs où plus personne ne labourait... Quelques uns étaient restés, bien entendu, pour lui prêter mains forte et parce qu'ils avaient appris à l'apprécier.

Il fallait croire qu'ils aimaient en lui l'homme qui avait su reprendre son bien pour la sécurité de ses concitoyens, plutôt que l'adolescent inexpérimenté que l'on préférait imaginer... soit...

Il salua Mrs Gardner, balayant le perron de son épicerie, puis passa l'établissement pour se retrouver quelques mètres plus loin, aux abords des baincs publics. La source avait tari depuis longtemps et plus personne ne venait pour les réalimenter ni même les nettoyer. Le saloon, situé quelques mètres plus loin en face était tout aussi désert...

Le jeune Irlandais soupira puis resserra le chapeau de cuir clair qu'il portait sur la tête. Renfonçant les mains dans se spoches, il continua son chemin, énumérant brièvement ce qui lui restait à faire aujourd'hui.
Il aurait pu tranquillement continuer sans qu'un événements imprévu ne se produise ; et ce sous la forme d'une petite boule de nerf -et de graisse- déboulant à toute allure droit sur lui.

Haletant, suant, ses cheveux collés par la transpiration, Matthew s'accorda une pause. Les genoux écartés, les mains solidement calées dessus, il peinait à reprendre son souffle. Vu le visage écarlate du pauvre bougre, Ace ne put que s'enquérir de ce qui se passait, craignant déjà la chute de l'épée de Damoclès qu'il avait au-dessus du crâne.

"Ce... c'est... M'sieur l'maire, c'est...".

"Parle plus fort, j'entends que dalle, Matt ! Qu'est-ce qu'il t'arrive ?".

Matthew releva un regard embué vers lui et poussa un dernier et profond soupir. Reprenant sa respiration pour mieux se redresser, il continua tout de go :

"C'est... c'est un visiteur ! Il refuse de... de déposer les armes, il... il veut pas !".

"Et Pete et toi n'êtes pas assez convainquants ?".

Ace lorgna l'allure trapue de son interlocuteur d'un oeil mutin. Ce dernier passa grossièrement sa main sur son visage.

"C'pas n'importe quel mec, M'sieur O'Leary ! -et du ton le plus bas possible, s'approchant de lui- c'est le juge Roy Bean !".

A ces mots, Ace redressa la tête, les sourcils froncés comme s'il n'avait pas l'air de croire ce que Matthew venait de dire. Il laissa planer ce brusque étonnement l'espace d'un instant puis reprit, tâchant de calmement maîtriser ses craintes...

"Et il vient pour quoi, au juste ?".

"Chai po... Il dit qu'il est juge, qu'il vient pour ça !".

Et tous ses doutes lui retombèrent dans l'estomac comme une lourde chape de plomb. Ace ferma les yeux un instant, ne les rouvrant qu'une fois qu'il se sentit prêt à dire à nouveau quelque chose...

"Il faut qu'il gicle, murmura-t-il, ce type... est à moitié hors-la-loi !".

"Pas qu'à moitié, M'sieur O'Leary...", et le pauvre bougre marqua ses propos d'hochements de tête appuyés. Ace grimaça en douce.

"Soit... il veut que j'aille lui parler, je vais aller lui parler !".

L'autre remonta sa ceinture, s'efforçant à cambrer ses solides épaules pour avoir l'air plus menaçant.

"J'viens 'vec vous, M'sieur l'maire ! On sait jamais c'qui peut arriver avec des zozos pareils !".

*J'en ai de la chance...*.

Ace se mordit la lèvre, levant un regard implorant vers le ciel, lourd d'avoir à traîner la présence calamiteuse de Matthew derrière lui... Pour le coup, ce bon-à-rien n'hésitait pas à lui graisser la patte...

"Conduisez-moi à lui !".

Et Matthew s'empressa de le faire, passant devant, esquissant un geste pataud et bref de manière à ce qu'il le suive.
En douce, collé contre son ventre, Ace l'Irlandais rechargeait son Peacemaker...

Il arriva bien vite à hauteur de la frontière. Matthew, quant à lui, avait freiné le pas -de peur, sans doute, de ne se prendre une balle entre les épaules de la part du nouveau arrivant... Ce dernier, d'ailleurs, était à cheval et Ace ne put qu'écarquiller les yeux lorsqu'il vit l'animal l'accompagnant.

"Un ours...", murmura-t-il d'une petite voix frêle, et il se reprit bien vite sachant que Matt épiait sa réaction.

"Z'allez pas le laisser entrer 'vec ça, M'sieur O'Leary ?". Finalement c'était peut-être lui qui avait le plus peur entre eux deux, avec sa mine misérable et son air apitoyé. Ace O'Leary frotta doucement l'arête de son nez aigu mais n'ajouta rien, se contentant de se rapprocher de Pete, de la bête et du juge...

Les rumeurs disaient vraies et l'on ne pouvait s'y tromper ! Le juge Bean faisait vraiment froid dans le dos avec sa moue plissée et mécontente, sa barbe grisonnante et ses yeux d'acier. Son accoutrement laissait à désirer mais l'on dénotait malgré tout un certain effort et un certain maintien dans son allure, sans pour autant qu'il soit guindé. Ses sourcils broussailleux semblaient être nés pour demeurés froncés, fermant à jamais son visage déjà bien dur.

Pete se tenait à côté de lui mais suffisamment à distance de manière à ne pas trop approcher l'ours. Ce dernier, par ailleurs, semblait aussi conciliant que son propriétaire. Le gardien se tourna vers le maire et son compagnon, tâchant d'adopter une posture droite et digne. Il les introduisit, d'un geste :

"Voici M'sieur l'maire, M'sieur Bean ! M'sieur A...".

"Ace O'Leary, coupa subitement le jeune homme, et il tendit à Roy Bean une main longue et fine, maire de Guns Frontier.

Je suis enchanté de vous connaître, Monsieur".

Il se découvrit le crâne, révélant la blondeur de ses cheveux, laissant pendre le couvre-chef derrière sa nuque. Il ne portait rien d'extraordinaire, hormis un long cache-poussière en daim, un pantalon en flanelle grise et une chemise en lin beige. Son holster était vide, comme le voulait les règles de cette ville, et ses bottes ne portaient pas d'éperon et n'étaient pas plus couvertes de poussières que cela...

Un peu mal à l'aise, le jeune maire desserra le bandana noir qu'il portait autour du cou et tâcha de faire meilleure figure. Il devinait les raisons de la venue d'un "juge itinérant" dans son pays et craignait vraiment que ses doutes ne soient fondés. La réputation de ce tenancier de bar qui s'était auto-proclamé juge l'avait précédé si bien que Pete et Matthew avait voulu qu'il soit là en personne pour l'accueillir... ou lui dire de partir.

Ace joignit les mains derrière son dos.

"Monsieur Bean, je suppose que vous êtes ici pour le nouveau tribunal, pas vrai ? Les nouvelles vont très vite à ce que je voie -il eut un rire sans joie- plus vite que je n'aurais imaginé !

En tout cas, un homme en plus pour remplir ses fonctions à Guns Frontier ne sera jamais de trop !".

Et il déglutit, sa gorge était incroyable sèche. De leur côté Pete et Matthew s'échangèrent des regards surpris.

"Bienvenue à Guns Frontier, monsieur".

Et il le salua d'une brève inclination de tête.

Le Juge détailla Ace O'Leary.

*Jeune, bien trop jeune pour être un obstacle. J'aurais presque préféré rester avec ces deux abrutis de gardes.*

Il rabattit son chapeau, se racla la gorge et prit une profonde inspiration.

Ceux qui avaient eu la chance - ou la malchance - de le cotoyer savaient que le Juge allait se lancer dans une de ces péroraisons qu'il appréciait particulièrement et qui pouvaient, suivant son humeur, durer plusieurs heures...

Bruno lui-même sembla prendre une posture plus décontractée, comme s'il avait compris que son maître avait pris les choses en mains et n'avait, pour le moment, pas besoin de son assistance.

"Monsieur le Maire, je prends acte de votre bienvenue.

Laissez-moi, tout d'abord, éclaircir quelques points.

Certes, vos... assistants, m'ont demandé de leur remettre mes armes. Je n'ai, en aucune façon, refusé de les leur remettre."

Il se tourna vers les deux gardes, les prenant à témoins.

"Messieurs, vous ai-je, d'une quelconque manière, refusé la remise de mes armes ?".

Avant même d'entendre la réponse de Pete et Matthew, il continua.

"Remarquez que je n'ai pas accepté de donner mes armes non plus. Je me suis juste contenté de donner mon nom et de présenter mon fidèle associé."

Le sourire qu'il affichait, se voulant réconfortant, aurait glacé n'importe qui.

"D'ailleurs, à propos des armes..."

Il se tourna lentement et sortit d'une des fontes de sa selle un livre à la couverture de cuir usée et jaunie, dont les pages semblaient devoir tomber en poussière au moindre souffle d'air.

Brandissant le livre sous les yeux de ses trois interlocuteurs, il déclara d'un ton solennel :

"Voici MON arme !"

Il laissa planer un silence afin de mieux reprendre son discours.

"Les statuts révisés du Texas. Je suis sûr que vous en avez entendu parler. Non ?

Laissez-moi donc vous prouver l'efficacité de cette arme.

Je suis ici, devant vous, à environ... il prit légèrement appui sur ses étriers, de façon à pouvoir lancer un bref coup d'oeil par-dessus les oreilles de sa monture, deux ou trois pas de vous.

Donc, je ne suis PAS ENCORE à Guns Frontier.

N'ayant pas encore foulé votre territoire, je suis donc en dehors des limites de votre ville et n'ai pas à vous remettre mes armes, votre "règlement" ne concernant que les individus se trouvant DANS Guns Frontier.

D'ailleurs, si je vous remettais mes armes et que vous les entreposiez dans le coffre que je vois là, qui me prouve que, lors de mon départ de votre belle ville, ce sont bien MES armes qui me seraient restituées ?

D'autre part, le juge reprit sa respiration de façon à poursuivre un de ses monologues dont il avait le secret, vos deux gardes, Monsieur le Maire, qui les a nommés ? Sur la base de quels textes ? Font-ils partie d'une milice privée ? Pourquoi sont-ils armés, eux ?

Ensuite, je vous déclarerai ceci : je n'ai nullement fait part de mon intention de m'installer en tant que Juge chez vous. Je n'ai pas non plus, décliné cette offre, offre qui, vous le remarquerez, ne m'a pas été faite.

Aux questions et aux remarques de vos deux sbires, j'ai effectué cette unique déclaration : je suis le Juge Roy Bean."

Il se renversa légèrement en arrière, comme s'il prononçait :

"Vous avez la parole".

Roy Bean s'était tourné vers Pete et Matthew, leur posant des questions auxquelles, apparemment, ils peinaient à répondre. Matthew gardait les mains serrées sur son arme tandis que celles de Pete se tordaient sous la pression imposée par le vieux personnage. Elles étaient blanches et tremblaient d'ailleurs un peu. Ace ne dit rien, attendant que ce dernier ait fini, gardant les yeux plissés sur chacun de ses mouvements. Son coeur se souleva au moment où le juge dirigea sa main vers les fontes de sa selle, semblant y chercher quelque chose.

"Voici MON arme !", ajouta l'homme en brandissant un traîté de Droit.

"Les statuts révisés du Texas. Je suis sûr que vous en avez entendu parler. Non ?

Laissez-moi donc vous prouver l'efficacité de cette arme".

Ace voulut l'interrompre mais le gaillard fut plus rapide. Lui qui s'attendait à devoir faire face à un véritablme caïd qui leur aurait tiré dessus où aurait lâché l'ours à leurs trousses, il était bien loin de la vérité.
Et, tandis qu'il énonçait ces théories, le jeune maire le suivait du regard, ne réussissant à contenir un petit sourire en coin. Il n'était, bien sûr, pas dans la nature d'Ace d'être moqueur mais il fallait avouer que l'assurance et le culot de ce "juge" l'impressionnait assez...

Son débit de parole était assez exceptionnel. D'ailleurs Pete et Matthew avaient décroché de ce long discours depuis déjà deux bonnes minutes. Il fixait tour-à-tour O'Leary puis Roy Bean, lançant des regards désemparé au jeune blond qui écoutait toujours le juge sans mots dire. Comme cette situation devait être embarrassante pour eux de ne pas le voir réagir face à ce personnage... Il soupçonnait même Pete de vouloir le plomber pour voir si, de la grenaille dans l'arrière-train, il n'irait pas beaucoup plus vite. Du même coup, le pauvre gardien resserra son arme contre lui -cette dernière devenant comme un bouclier.

"Vous avez la parole", acheva le juge et les yeux de ses deux comparses restèrent rivés sur lui.

Ace commença :

"Merci, Monsieur le juge, pour ce petit cours de Droit improvisé ! J'en avais bien besoin !

Si j'puis me permettre juste de... relever quelques points ! J'ai aussi appris le Droit, j'en suis pas à ma première leçon".

Et il lui accorda un sourire de connivence, juste avant de commencer :

"Le règlement de Guns Frontier stipule que chaque visiteur doit déposer ses armes avant d'y rentrer de manière à ce que, justement, aucune arme ne puisse être utilisée en ces murs ! Le premier décret annonçant clairement que cette ville est une ville pacifiste, là pour garantir la sécurité de ses citoyens.

Vous n'êtes peut-être pas à Guns Frontier pour l'instant mais êtes à son poste-frontière où mes "assistants" vous ont demandé ce qu'on leur aura appris à dire : déclinaison de votre identité, raison de votre venue ici, remise de vos armes et... voir si vous ne figurez pas comme criminel recherché !".

Il lui accorda un rapide sourire espiègle.

"Mais si vous voulez être rassuré, je vais vous en expliquer le fonctionnement !".

Puis il fit quelques pas en direction du coffre, posant le coin de son pied dessus.

"Ce coffre, ajouta-t-il en le désignant, est un coffre en bois tout ce qu'il y a de plus banal ! Il y a pas de deuxième fond, pas d'ouverture magique et il est semblable à ceux que vous trouverez au quatre coins de la ville !

Mes gardiens, ici présent, prendrons donc vos armes pour ensuite les étiqueter dans les cabanes que vous voyez... avec votre nom et prénom. En somme, votre identité !
Suite à cela, les armes collectées la journée seront transportées puis remises à une tierce personne afin qu'elles soient conservées en lieu sûr !".

Et, d'un coup bref de talon, il referma le couvercle, s'avançant d'un pas plus rapide vers Roy Bean et son cheval. Une moue décidée et ferme rendait son visage d'enfant encore plus boudeur.

"Et mes hommes ne sont pas nommés mais sont volontaires. Chaque année ils se mettent d'accord et prennent leur tour de garde pendant 365 jours. S'ils souhaitent être relayés ils n'ont qu'à m'en faire la demande !

Guns Frontier n'est pas une ville répressive, Monsieur Bean, et chacun est libre de participer ou non à la protection de la ville, comme chacun est libre ou non d'en apprécier les principes. Je ne demande qu'à ce que les règles soient respectées !

Vous pouvez faire comme il vous plaira, Monsieur. Entrer ici et vous plier aux règles ou repartir. Nous ne souhaitons guère avoir à faire à des fauteurs de troubles, mais je crois que ce n'est pas non plus votre cas, n'est-ce pas ?".

Il avait entrouvert les bras dans l'attente d'une réponse, mais il ne lui en laissa pas le temps et rembraya tout de go :

"C'est cela. Quant à ce qui s'est dit entre mes gardiens et vous-même, il me semble que cela ne concerne que vous -il adressa un bref regard à Pete et Matthew-. Je suis pas encore Baby-Sitter ou là pour départager les querelleurs de base, je suis seulement là en tant que personnage officiel et car l'on m'a signalé qu'au premier abord vous aviez manifesté des signes de résistance. Je viens m'assurer qu'il n'en est rien !

Maintenant j'espère que vous comprenez mieux la logique de notre fonctionnement.

Et le fait que vous décidiez de vous y installer pour une longue ou courte durée n'est vraiment pas mon problème !".

Et il croisa les bras sur sa poitrine, détournant le regard d'un air effarouché. Roy Bean avait eu le don de l'irriter plus que de raison et le fait qu'il le prenne davantage pour un petit prisonnier que pour un membre influent de cette communauté le plongeait dans une profonde rancoeur. Sentant la moutarde lui monter au nez, le jeune homme ferma les yeux, pianotant vigoureusement sur ses avant-bras.

"Et puis, rajouta-t-il d'un ton mauvais, on n'est même pas au Texas ici !".

Il désigna son livre d'un bref signe du menton.

"On est en territoire neutre en Oklahoma ! Votre traîté ne vous sert à rien, les lois sont pas les mêmes d'un Etat à l'autre !

Il vous faudra changer d'arme, Monsieur Roy Bean !".

Il avait presque craché cette dernière phrase, tourné à demi, les bras toujours solidement croisés. Son regard bleu ciel n'osait croisé Roy de peur de lui donner crédit et sa bouche plissée marquait solidement ses traits fins et revêches.
Le vent souffla sur le désert arride et Matthew et Pete manquèrent de perdre leur chapeau, soulevant les cheveux et le cache-poussière du jeune homme.

"Alors ? Rajouta-t-il sourcils froncés, vous déposez votre bouquin ?".

Le Juge Roy Bean n'appréciait pas du tout les réponses d'Ace O'Leary.

Si ce dernier voulait jouer au plus malin, il allait avoir affaire à forte partie.

Il se redressa sur sa selle et s'apprêta à répondre.

Bruno avait senti que quelque chose ne se déroulait pas comme à l'accoutumée.

Il se redressa et tourna son mufle vers le Maire, montrant ainsi à ce dernier qu'il fallait compter avec lui.

Roy Bean, ayant observé le manège de son compagnon, afficha un léger sourire.

"Monsieur le Maire, il y a une grande différence entre apprendre le droit et savoir l'appliquer.

Sachez que, moi, Juge Roy Bean, je suis on ne peut plus respectueux des lois et de leur application.

Il est très louable de vouloir garder une ville saine et sans criminalité ni délinquance mais ne pensez-vous pas que ceci relève de la plus belle utopie ?

A votre avis, suffit-il d'être sans arme pour être totalement irréprochable ? N'importe quel objet peut servir d'arme et blesser, voire tuer. Allez-vous proclamer un texte obligeant les habitants et les visiteurs de Guns Frontiers à se promener en caleçon ?

D'autre part, vos fauteurs de troubles, vos voleurs, vos criminels, qui les arrête ? Votre milice faite de "volontaires" ?

Etes-vous bien sûr que vos gardes se sont proposés comme volontaires uniquement dans le but de protéger Guns Frontier et non pour être les seuls hommes armés en ville ?

Apparemment, dans la situation présente, vos gardes ont été dans l'incapacité totale de faire respecter votre loi. Pourquoi ?

Ont-ils eu peur d'un vieil homme inoffensif accompagné de son ours ?"

Plus il parlait et plus le Juge se sentait à l'aise.

Il était capable de tenir tête au Maire pendant des heures, malgré la chaleur.

Tout n'était qu'une question de patience et, de ce côté-là, le Juge était un expert.

"Pouvez-vous m'affirmer, Monsieur le Maire, que vous avez la totale certitude que, seuls, vos gardes sont armés à Guns Frontier ?".

Il se pencha vers le Maire, ignorant délibéremment Pete et Matthew.

"Pour ma part, j'ai à vous déclarer ceci : il fait chaud, je viens de parcourir plusieurs kilomètres et la seule chose que je désire est de prendre un bon bain, accompagné d'une petite bière."

Ainsi parla le Juge Roy Bean.

Suite à la litanie du juge, Ace rehaussa un sourcil. Il lui offrit un sourire polission, reflet irritant de sa jeunesse, et reprit d'un ton égal :

"J'peux pas vous dire avec exactitude si c'est une utopie ou pas ! Ce qui est clair c'est que c'est le rêve d'un vieux fou et que je suis simplement en train de le perpétrer de manière à ce, qu'en haut, il soit heureux et tranquille.

L'on m'a désigné pour protéger ces gens, Juge Bean, la base de cette ville et ses idées ne sont pas miennes ! Et je laisse à chacun le droit de juger si oui ou non Guns Frontier est à la hauteur de ses préntentions !

Pour ma part, et pour employer de belles et grandes phrases : un homme reste un homme avec ou sans armes. Le truc c'est que, sans son flingue, il est déjà une menace de moins...

Quant à savoir s'il n'y aurait pas des fuites -il écarta les bras, le visage frappé d'une certaine hilarité- mais je suis pas magicien, moi ! Je vous le dis, juste un homme, et je fais de mon mieux !".

"Vient juste d'être majeur, M'sieur ! Répliqua Pete, mais s'débrouille bien !".

"J'parle pas de bien se débrouiller ou de mal se débrouiller. Je parle de savoir gérer au mieux une situation grâce à des codes donnés. Je parle aussi de savoir où ses limites s'arrêtent et où commencent celles des autres !

Vous avez raison , Monsieur Bean. J'suis pas un homme de loi ! Je suis même -et ses joues s'empourprèrent sur un léger rire- bien loin de cela ! Mais je fais de mon mieux et dans la mesure du possible le travail qui m'incombe ainsi que la quête qui m'a été confiée ! En somme, j'suis pas parfait mais j'essaye !".

Il jeta un bref regard confiant à Pete et à Matthew toujours campés derrière lui. Les deux hommes jaugeaient tour-à-tour Bean et O'Leary, pas certains finalement de comprendre grand chose à leur charabia.

"Mes hommes sont armés, reprit-il serein, et ce afin de contrer d'éventuels gêneurs. J'ai confiance en eux et ils savent, je crois, de quoi je suis capable si jamais je découvre qu'elles ne sont pas utilisées à bon essient".

Et son sourire d'enfant s'élargit davantage, véritable farfadet aux joues tachées de son, comme une réplique humaine d'un des personnages féériques de sa contrée.

"De plus, il y a des clauses très précises à ce sujet dans notre traité ! Je suis sûr que vous serez ravi de les lire !".

Il lui adressa un clin d'oeil puis reprit, toujours avec cette chaleur et cette témérité que Pete et Matthew commençaient à lui connaître. Pour Pete c'était même parfois pure idiotie ou une autre manière de faire des ronds de jambe...

"Juge Bean, vous pouvez entrer. Vous me plaisez par votre manière de faire et, pour tout vous dire, vous ne me terrifiez pas du tout !

Je vous accorde ma confiance. Mais j'attends, en retour, à ce que vous m'accordiez la vôtre et à ce que vous teniez votre parole...".

Il posa les mains sur ses hanches, déplaçant légèrement le pan de son cache-poussière tandis qu'il l'observait les yeux toujours plissés par le soleil.

"Mais si je découvre que vous détenez une arme et, pire que cela, que vous osez vous en servir ma bande de volontaires et moi-même serons ravi de vous mettre à l'ombre le temps que vous y réfléchissiez...".

"Refermez le coffre, messieurs -et il donna un grand coup de pied dedans. Le couvercle se ferma dans un bruit de tonnerre et de fer- et ouvrez les portes !

Pour ma part, je vais vous indiquer les bains publics !".

Matthew, juste avant de partir vers sa cahute, leva son index tout en cherchant à l'apostropher :

"M... mais et pour...".

"Et pour quoi ?".

Le gardien jeta un regard insistant à l'animal. Ace comprit son attention et ses prunelles de topaze s'attardèrent longuement sur Roy Bean. Un sourire de défi se planta sur ses lèvres.

"Ca, c'est un ours, Matthew".

L'autre grommela.

"Ca je sais mais... est-ce qu'il peut... ?".

"Entrer ? Il a fait tout ce chemin avec son maître et est resté bien sagement derrière lui tandis que nous discutions !
Laissons donc au Juge Bean le droit de nous prouver que nous n'avons rien à craindre de son "associé"...".

"Mouais... sans doute...".

Et le petit gardien s'en alla, saisissant le coffre bientôt suivi par Pete. Seuls Ace et Roy restaient à présent les deux seuls humains hors de la frontière.
Ace renfonça son chapeau sur son crâne et rehaussa le col de son cache-poussière. Il passa devant la cabane de Matthew et désigna du menton la série d'affiches placardées à l'intérieur. Le gardien hocha négativement la tête et le jeune Irlandais en revint au juge...

"Et on peut passer -il leva une jambe- comme une lettre à la poste !" -puis la passa de l'autre côté d'une ligne imaginaire-. A présent entré officiellement à l'intérieur de sa ville, il enjoignit Bean à faire de même.

"A vous, Monsieur le Juge. Et, encore une fois, bienvenue à Guns Frontier !".

Il lui décocha un bref clin d'oeil.

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